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La preuve par présomption

En droit civil Québécois, les plaideurs bénéficient de divers moyens de preuve établis dans le Code civil du Québec. Les cinq moyens de preuve sont les suivants : l’aveu, l’écrit, le serment, le témoignage et la présomption. Le présent article traitera de la preuve par présomption.

En l’absence d’une preuve directe, un plaideur peut utiliser la présomption pour établir un élément de preuve. La définition légale d’une présomption est ce que la loi ou le tribunal tire d’un fait connu à un fait inconnu.[1] Au Québec, il existe deux types de présomptions: la présomption légale et la présomption de faits.

Auteur de l'article: Me Sarah Miles, Avocate Bergman et Associés

Auteur de l'article: Me Sarah Miles, Avocate Bergman et Associés

La présomption légale

La présomption légale est une présomption spécifiquement attachée par la loi à certains faits. Lorsque le plaideur démontre certains éléments jugés nécessaires par la loi, il sera dispensé de faire toute autre preuve. La  preuve sera donc établie.

Il existe deux types de présomptions légales: il y a des présomptions simples et des présomptions absolues. Les présomptions simples peuvent être réfutées par une preuve contraire. Les présomptions absolues sont irréfragables.

La preuve par présomption légale est prévue à l’article 2847 du Code civil du Québec, qui se lit comme suit:[2]

2847. La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe.

Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée.

Le législateur a créé plusieurs présomptions légales afin d’alléger le fardeau de preuve dans les situations qui le justifient. La législation prévoit un fardeau plus léger pour protéger les parties vulnérables qui se retrouvent dans une situation de déséquilibre de pouvoirs. Quelques exemples de présomptions préétablies par la loi sont les suivants :

-        Responsabilité du commerçant et fabriquant pour un vice caché prévue dans la Loi sur la protection des consommateurs;[3]

-        Réclamation contre un vendeur professionnel prévue dans le Code civil du Québec;[4]

-        Responsabilité pour la faute ou fait d’autrui prévue dans le Code civil du Québec;[5]

-        Responsabilité pour le fait des biens ;[6]

La présomption de faits

Si la situation ne tombe pas dans une des présomptions préétablies par la loi, le moyen de preuve demeure la présomption de faits prévu à l’article 2849 du Code civil du Québec.

L’article 2849 du Code civil du Québec se lit comme suit:[7]

2849. Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l’appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes.

La preuve par présomption est une inférence tirée par la Cour d’un fait connu à un fait inconnu. Dans la décision Barrette c. Union canadienne (L’), compagnie d’assurances, la Cour d’appel nous fournit une description claire de ce moyen de preuve :

[32]      Qualifié de preuve indirecte ou indiciaire, ce moyen nécessite la mise en preuve de faits que l'on pourrait, au moyen d'une preuve directe, qualifiés d'indices, suivi d'un raisonnement inductif qui permettra ou non au tribunal de conclure à l'existence du fait à prouver, selon qu'il estime que les faits prouvés sont suffisamment graves, précis et concordants pour conduire à l'inférence qu'il en fera.[8]

Ce moyen de preuve est souvent utilisé afin d’établir le lien de causalité en matière de responsabilité civile. C’est un fardeau lourd qui doit être prouvé selon une prépondérance des probabilités (art. 2804 C.c.Q.)

La partie qui utilise ce moyen de preuve doit démontrer que les présomptions sont graves, précises et concordantes. Ces trois critères forment des exigences cumulatives.  La Cour considérera uniquement ces types de présomptions. Dans l’arrêt Longpré c. Thériault, le juge Lamer qualifie chacun des critères:[9] 

Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l'existence d'un fait établit, par une induction puissante, l'existence de l'autre [...].

Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S'il était également possible d'en tirer des conséquences différentes et même contradictoires, les présomptions n'auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute et l'incertitude.

Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toute une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à faire établir le fait qu'il s'agit de prouver [...]. Si [...] elles se contredisent et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes et le doute seul peut entrer dans l'esprit du magistrat. [Soulignement et caractère gras ajoutés]

Dans Barrette c. Union canadienne, la Cour a établi un test de deux étapes afin de déterminer si l’exigence de l’article 2849 du Code civil du Québec est satisfaite: [10]

[34] L'exercice prévu à l'article 2849 C.c.Q. consiste en deux étapes bien distinctes. La première, établir les faits indiciels. Dans cette première étape, le juge doit, selon la balance des probabilités, retenir de la preuve certains faits qu'il estime prouvés. Dans une deuxième étape, il doit examiner si les faits prouvés et connus l'amènent à conclure, par une induction puissante, que le fait inconnu est démontré.

 

En d’autres termes, l’ensemble de la preuve doit permettre au tribunal de conclure que les faits connus et prouvés démontrent l’existence du fait inconnu.

Conclusion

En résumé, la preuve par présomption peut être établie par une présomption légale ou une présomption de fait. La force probante de la présomption varie en fonction des ouvertures disponibles pour la renverser. 

 

© 2021 par Bergman et Associés.

Tous droits réservés.

[1] Code civil du Québec, art. 2846

[2] Code civil du Québec, art. 2847.

[3] Loi sur la protection des consommateurs, art. 53 (3).

[4] Code civil du Québec, art. 1729.

[5] Code civil du Québec, art. 1459, 1460 et 1463.

[6] Code civil du Québec, art. 1465 à 1469.

[7] Code civil du Québec, art. 2849.

[8] Barrette c. Union canadienne (L'), compagnie d'assurances, 2013 QCCA 1687 (CanLII), <http://canlii.ca/t/g0s7t>, para. 32.

[9] Longpré c. Thériault, [1979] C.A., 259, p. 262, AZ-79011013.

[10] Barrette, supra note 8, para. 34.